LES TENTATIVES DE
RECONCILIATION NATIONALE
Quelques mois à peine après l’indépendance, la
République du Congo était affrontée à des crises
multiples : les sécessions du Katanga et du Sud-Kasaï, les
conflits institutionnels et constitutionnels. Le Gouvernement congolais,
caractérisé par le bicéphalisme, ne tarda pas d’éclater.
L’installation du Collège des Commissaires par le Colonel Mobutu
avec l’appui de Monsieur Kasa-Vubu et de l’Occident se heurta à
des oppositions des provinces. Ce Gouvernement dont la légitimité
fut contestée, rencontra à son tour des difficultés
dans ses relations avec l’ONU.
La rébellion de Gizenga en vue de rétablir l’unité
nationale et de reconquérir le pouvoir après l’assassinat
de Patrice Lumumba d’une part, et la résolution du Conseil de Sécurité
de l’ONU du 21 février 1961 tendant à désarmer les
soldats congolais et à mettre le Congo sous sa tutelle d’autre part,
favorisèrent le rapprochement entre les sécessionnistes et
le Gouvernement Central. De part et d’autre, on craignait l’avancée
de la rébellion lumumbiste qui gagnait du terrain. Face au morcellement
du pouvoir, aux tendances centrifuges et aux oppositions violentes, le
besoin se faisait sentir de rétablir la légitimité
contestée tant sur le plan national que sur le plan international.
C’est ce qui va ouvrir la voie à une série de rencontres,
de concertations en vue de trouver une solution à la crise congolaise.
Ainsi y aura-t-il la concertation de Léopoldville, la Conférence
de Tananarive et la Conférence de Coquilhatville, toutes les trois
préparant le Conclave de Lovanium. Nous remarquons que toutes ces
rencontres s’effectueront en l’espace d’une année.
LA CONCERTATION DE LEOPOLDVILLE
Cette rencontre (appelée par certains « la Table Ronde
de Léopoldville ») était convoquée pour le 25
janvier 1961 et avait pour objectif officiel la réforme des structures
politiques du Con-go.
Il s’agissait en fait de la remise en cause de l’ensemble des Institutions
du pays. Pour cela, il fallait sélectionner la représentation
qui devait refléter toutes les opinions et tous les milieux. Si
la formation d’un nouveau Gouvernement était prévue, le Premier
Ministre et le Chef de l’Etat gardaient leurs prérogatives.
Il était un fait qu’en recourant à une table ronde et
non au Parlement existant et qui ne représentait qu’une partie du
pays, le Chef de l’Etat avait voulu apaiser ceux qui ne trouvaient pas
leur compte dans cette Institution.
Rappelons qu’à cette époque, le Parlement était
suspendu et les politiciens suspectés. Monsieur Ileo fit donc appel
à tous les Congolais de bonne volonté. Les délégués
du Katanga, refusant de participer à la rencontre, souhaitaient
que si celle-ci devait avoir lieu, elle devrait se tenir à Elisabethville.
Les mêmes démarches faites en direction des autorités
de Stanleyville et du Kivu étaient restées sans succès.
Ainsi, à l’ouverture, l’absence des représentants de ces
trois provinces était visiblement remarquable. Tout compte fait,
sur les 22 provinces, on constata lors des votes à la séance
du 28 janvier qu’il y avait seulement 126 votants.
A la séance du 2 février, la constitution d’un front des
partis nationalistes « FRONACO » : Front Nationaliste Congolais,
avait constitué l’événement important. Ce Front, présidé
par Monsieur Kimvay, délégué du P.S.A., regroupait
les partis politiques suivants ; P.S.A.-M.N.C.L., CEREA, BALUBAKAT, COAKA,
Union congolaise, Mouvement de l’Unité Basonge, UNIBAT et ALCO.
Dans leur déclaration, ils estimaient que la crise que traversait
le Congo était avant tout gouvernementale et non constitutionnelle.
Dans ce cadre, ils posaient certaines conditions pour leur participation
à d’autres rencontres prévues : libération de tous
les détenus politiques ; formation d’un Gouvernement investi par
le parlement ; la garantie de fournir la sécurité à
tous les participants et la garantie de la liberté de cir-culation.
Les chefs coutumiers adhéraient à cette motion qui devenait
l’un des documents importants de la table ronde.
Pour le Président de la Chambre, Monsieur Kasongo, relayé
par Monsieur Ileo, cette crise-là, (si elle était une crise
de structure) était avant tout une crise de la légalité
et seul un gouvernement légal pouvait y faire face.
Les travaux étaient articulés en 6 commissions. Nous retiendrons
cependant seulement les commissions dont les travaux vont nous permettre
de comprendre la suite.
La première Commission était chargée de la détermination
de la date et du lieu de la conférence pro-prement dite.
Il était dit que ces travaux devaient être fi-nalisés
à la Conférence proprement dite. Entre Elisabethville et
Lovanium, la Commission suggéra Lovanium parce qu’aller à
Elisabethville eût été reconnaître l’autorité
de Tshombe. Quant à la date, on proposa le 15 février 1961.
La deuxième Commission chargée de l’Ordre du Jour,
proposa les points suivants : Forme et structure politique du pays ; divisions
politiques de la République ; Principes généraux de
l’organisation ; la troisième s’occupa des structures et des divisions
politiques. (Celle-ci était partisane du fédéra-lisme)
; la quatrième, de la fixation des critères de
participation et de composition des délégations ;
la cinquième de l’étude et de l’installation du Gouvernement
et, enfin, la sixième se chargea de connaître les intentions
de Tshombe
Il est important de remarquer que la Conférence de la Table Ronde
de Léopoldville s’était tenue presque un an après
celle de Bruxelles. Elle rejeta l’unitarisme en faveur du fédéralisme.
A cette fin, le Parlement devra tenir compte, pour le futur Etat fédéré,
d’un certain nombre de critères : affinité ethnique ; besoins
économiques et langues ou histoire communes.
On a pu observer aussi, malgré l’absence du Katanga et de Stanleyville,
que leurs intérêts étaient assurés. Pour le
Katanga, par les délégués du Sud-Kasaï et pour
Stanleyville, par les membres du FONACO. A la fin du compte, les séances
étaient dominées par ceux qu’on a appelés des «modérés
» représentés par Messieurs Adoula, Ileo et Lihau,
tous membres du Gouvernement Central.
LA CONFERENCE DE TANANARIVE
Elle se déroula du 8 au 12 mars 1961. Dès
la fin de la concertation de Léopoldville, on avait remarqué
le rapprochement entre les autorités de Léopoldville, celles
du Katanga et du Sud-Kasaï. En effet, la mort de Lumumba (janvier
1961), interprétée par certains comme une victoire pour Monsieur
Tshombe, avait jeté le désarroi parmi les membres des partis
nationalistes qui durcissaient leur position à l’égard du
Gouvernement Central. Celui-ci se trouvait ainsi isolé. Il dut choisir
de s’allier le Katanga.
L’adoption de la résolution du 21 février par le Conseil
de Sécurité de l’ONU fit craindre la mise sous tutelle du
Congo et, pour le Katanga, elle permettait d’expulser les mercenaires.
Devant cette menace commune, l’entente entre Elisabethville et Léopoldville
se resserra davantage. Le 24 février, l’annonce de l’arrivée
des troupes de Gizenga à Luluabourg provoqua une panique dans les
milieux du Gouvernement Central.
Sur l’initiative de Tshombe, une réunion convoquée à
Elisabethville réunit, à part Tshombe, Ileo et Kalonji qui
signaient, le 27, un Protocole d’Accord militaire dirigé essentiellement
contre l’ONU. Les signataires lui reprochaient sa passivité et son
immixtion dans les problèmes politiques congolais. Cet Accord militaire
serait complété par un Accord politique élaboré
dans le même esprit à la Conférence qui sera convoquée
à Tananarive.
La délégation de Léopoldville, partie le 3 mars,
était composée de Messieurs Ileo, Adoula, Bolikango, Kamitatu
et Kimvay. Kasa-Vubu n’arrivera que le 5 mars. Au total, la Conférence
avait réuni 12 délégations groupant 12 représentants.
Gizenga ne viendra pas. A cette rencontre, les propositions katangaises
allaient servir de base aux 5 résolu-tions de la Conférence.
?
Il faut remarquer que depuis la Conférence de Léopoldville,
les provinces étaient appelées « Etats fédérés
». La formation d’une Confédération d’Etats souverains
était à l’ordre du jour et Monsieur Kasa-Vubu était
appelé à représenter la Confédération
sur le plan international. Lorsque ces résolutions seront mises
en appli-cation, la mission du Gouvernement Central prendra fin avec la
constitution du Conseil d’Etat composé du Président de la
Confédération et des Présidents des Etats membres.
En conclusion, les résolutions de la Conférence de Tananarive
n’ont pas recueilli l’unanimité des acteurs politiques. Kalonji,
à la Commission Juridique, a orienté les travaux dans le
sens de Tshombe. Les lumumbistes, qui pouvaient apporter un contrepoids
étant absents, les travaux ont évolué à sens
unique. C’est ainsi que l’idée d’une autre Conférence pour
approfondir les résolutions de Tananarive était fixée.
LA CONFERENCE DE COQUILHATVILLE
Il avait été décidé, lors de la Conférence
précédente, une autre Conférence au cours de laquelle
on étudierait les modalités d’exécution des résolutions
de Tananarive. Initialement prévue à Kamina, celle-ci dut
se tenir à Coquilhatville vu l’imminence de l’arrivée à
Kamina des troupes de renfort de l’ONU pour attaquer les gendarmes katangais.
Déjà dès le 17 avril, l’Accord signé entre
le Chef de l’Etat et l ‘ONU acceptait l’application de la résolution
du Conseil de Sécurité du 21 février en même
temps qu’il acceptait la réorganisation de l’Armée Nationale
Congolaise avec l’assistance des Nations Unies. Les incidents entre le
Président Kasa-Vubu et Monsieur Tshombe étaient dès
lors prévisibles étant donné que le Président
du Katanga s’opposait à l’application de cette résolu-tion.
Y ont participé, en dehors des délégués
des Etats sécessionnistes, les représentants des Etats nouvellement
créés. Dès le début des séances, il
fut décidé d’exclure ceux qui n’étaient pas à
la Conférence de Tananarive. Ce à quoi le Président
Kasa-Vubu apporta un bémol en rappelant à l’assistance que
le Congo était encore régi par la Loi Fondamentale. Désormais,
la salle fut divisée en deux courants. Comme piqué au vif,
Monsieur Tshombe somma le Président de la République de rompre
l’Accord du 17 avril et de rester fidèle aux résolutions
de Tananarive. Le refus affiché devant cette demande conduisit la
délégation katangaise à quitter la séance le
25 avril.
Dès le 26, elle tenta de se rendre à l’aéroport
pour s’embarquer pour Brazzaville avant de regagner le Katanga. Elle fut
mise aux arrêts.
Dès lors, les travaux vont se dérouler sans la participation
des Katangais.
D’importantes résolutions ont été prises tant dans
le domaine politique que dans le domaine économique lors de cette
conférence. Au plan politique, elles visaient l’organisation d’un
pouvoir central réel pour céder ensuite certains pouvoirs
aux Etats membres. La réintégration du Katanga était
au centre de l’Accord du 17 avril signé entre les autorités
congolaises en collaboration avec l’ONU.
Au plan économique, les résolutions demandaient la décentralisation
financière. La convocation dans l’immédiat, du Parlement
constituait le moyen légal de mettre fin à la crise gouvernementale.
LE CONCLAVE DE LOVANIUM
Celui-ci se tient du 25 juin au 2 août 1961. La crise s’étant
aggravée au fil des conférences, les autorités de
Léopoldville, d’Elisabethville ainsi que les représentants
de l’ONU se mirent d’accord pour qu’une conférence se tienne à
Lovanium sous la protection des Nations Unies. L’objectif de la conférence
était d’arriver à la table ronde qui allait sceller la réconciliation
et rétablir la légalité.
En effet, la Conférence de Coquilhatville avait marqué
la rupture de l’axe Léopoldville-Elisabethville et avait permis
la convocation du Parlement. La tâche de la réconciliation
avait été facilitée par l’Accord de Milan, en Italie,
au cours des négociations qui ont eu lieu du 5 au 8 juin 1961 pour
le Katanga. En dépit de cet Accord, les parlementaires katangais
n’acceptèrent pas de rejoindre Lovanium. Quant à l’aile Gizenga,
les parlementaires de la Province Orientale et du Kivu, parmi lesquels
Gbenye et Kashamura, acceptèrent de venir à Léo-poldville.
Pour détendre les esprits, le Président Kasa-Vubu accorda
une amnistie générale aux militaires et aux politiciens,
à l’exception de ceux qui s’étaient rendus coupables de crimes
de droit commun.
Les séances d’ouverture concernèrent les chambres : le
Sénat (le 22 juillet) et la Chambre des Députés (le
23 juillet). La préoccupation suivante fut axée sur la formation
du Gouvernement et les travaux y relatifs ont duré huit jours.
Les débats avaient deux tendances : une Constitution et un Gouvernement
ensuite, ou un Gouvernement d’abord et une Constitution ensuite. L’existence
d’un Gouvernement Central d’unité nationale l’emporta sur d’autres
visées.
Tout paraît beau mais on peut se demander pourquoi un tel Gouvernement,
réputé d’union nationale, n’a duré que l’espace d’un
matin.
On a par la suite observé des rébellions …, Gizenga fut
arrêté, relégué … des crises se sont déclarées
… jusqu’au Coup d’Etat du Général Mobutu. A quoi donc aura
servi cette « Tour de Babel » ! Il importe de rechercher les
causes.
KALUBI M’KOLA
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