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LES DEUX TABLES RONDES
 

Grâce aux journées insurrectionnelles de janvier 1959 à Kinshasa, la vocation  à l’indépendance du Congo fut officiellement reconnue par la déclaration gouvernementale et le message royal du 13 janvier 1959.  Cependant, comme aucune précision n’était apportée par les autorités coloniales quant à la date de cette indépendance, les Congolais s’employèrent tout au long de cette année 1959 à faire préciser les étapes menant leur pays à la souveraineté, ainsi que la date même de cet avènement.  Ils se battirent pour faire admettre leur participation active dans l’étude des projets de réformes. 
Les partis politiques congolais avancèrent et soutinrent l’idée d’une conférence de la table ronde au cours de laquelle les représentants de l’opinion congolaise allaient discuter sur un pied d’égalité de l’avenir du Congo avec les responsables de la politique coloniale belge.  Les négociations porteraient sur les élections et la formation d’un gouvernement. 

L’agitation sociale et la campagne de désobéissance civile entretenue dans le pays amenèrent les responsables de la politique coloniale à céder devant les revendications congolaises.  Il fallait décrisper la situation politique, et ramener l’ordre et la détente.  Les autorités belges se rallièrent à l’idée d’ « une grande conférence » qui allait examiner le fondement et l’organisation des Institutions politiques congolaises. 

La date et le lieu de ces assises divisèrent les Belges et les Congolais.  Cette conférence devait–elle se tenir avant les élections communales de décembre 1959 comme le réclamaient certains partis nationalistes ou après ces mêmes élections comme l’exigeait le ministre du Congo ?  Cette conférence devait–elle se dérouler à Bruxelles selon le vœu des partis nationalistes ou au Congo selon les partis conservateurs ? 

Le ministre du Congo admit que la conférence de la table ronde se prononce sur la structure politique du Congo.  L’ordre du jour porterait entre autres sur : les élections (la date des élections législatives ; le régime électoral) ; la composition et l’attribution des assemblées provinciales et centrales ; le fonctionnement et les pouvoirs du gouvernement ; l’examen et la modification éventuelle de certains arrêtés en vigueur ; le calendrier précis de la mise en place des institutions. 

Concernant la compétence de cette conférence, le pouvoir organisateur estimait que ses conclusions devaient être coulées sous forme de projets de lois à déposer devant le parlement dans le délai le plus bref possible, après la clôture de cette conférence, si elles s’avéraient constructives et valables.  La représentation à la table ronde serait assumée pour la Belgique par le Gouvernement et des représentants du parlement.  Des délégués représentatifs des partis politiques, des grandes tendances de l’opinion et des Chefs coutumiers devraient parler au nom du Congo. 

Des tractations multi-ples s’engagèrent entre le gouvernement général à Kinshasa, les partis congolais et le gouvernement belge.  Le 13 janvier 1960, le gouvernement belge invita 81 Congolais, à savoir 43 membres effectifs et 38 membres suppléants.  Au cours des tra-vaux la délégation congolaise fut portée à 93 membres : 45 membres effectifs et 48 membres suppléants. 
 

COMMENT FUT CONSTITUEE LA DELEGATION CONGOLAISE ? 

Onze sièges furent attribués au PNP, vainqueur des élections communales de 1959 ; onze sièges revinrent au Cartel ABAKO composé de six partis (ABAKO, PSA, MNC–K, Parti du Peuple, FGC, Alliance des Bayanzi) qui s’étaient distingués avec le mot d’ordre d’abstention ; onze sièges furent réservés à la délégation des chefs coutumiers ; trois sièges pour le MNC–Lumumba ; deux sièges pour la CONAKAT ; deux sièges pour l’ARP ;   cinq sièges restants furent partagés entre les délégations de cinq partis : le CEREA, le cartel katangais, L’Union Congolaise, l’Union Mongo et l’ASSORECO. 

Toutefois, chacune des onze délégations, quelle que fût son importance, n’eut droit qu’à une voix. Des experts–conseillers furent conviés à participer à la table ronde : 19 pour le compte des délégations congolaises, et 21 pour le gouvernement belge. 

La partie belge fut représentée par 6 ministres, 10 parlementaires membres ef-fectifs et 17 parlementaires membres suppléants. 
La conférence de la table ronde politique s’ouvrit le 19 janvier 1960 au Palais des Congrès à Bruxelles sous la présidence de M. Lilar, vice–président du Conseil. 

Des Congolais furent intégrés dans le bureau de la conférence (P. BOLYA, D. KANZA, J. KASONGO, J. BOLIKANGO, M. TSHOMBE, F. KUPA) et pour ne  pas faire échouer la table ronde par des contestations ultérieures, les autorités belges durent libérer le président du MNC, Patrice Lumumba, pour qu’il participe à ces assises. 
 

UN FRONT COMMUN A L’ASSAUT DE LA TABLE RONDE 

Le déroulement des travaux de la table ronde fut marqué par «  le front com-mun » que toutes les délégations congolaises constituèrent à la veille de l’ouverture de la conférence.  Les participants congolais prirent « l’engagement solennel d’unir leurs efforts, en vue de l’accession du Congo à l’indépendance immédiate dans l’unité nationale, en défendant les mêmes positions sur toutes les questions inscrites à l’ordre du jour ».  L’unanimité était acquise pour la constitution d’un gouvernement congolais et l’accession rapide à l’indépendance.  La création du Front Commun fut suscitée et encouragée par la diaspora congolaise constituée alors d’étudiants. 

Avant de débattre des points à l’ordre du jour, le Front Commun souleva des préalables.  Tout d’abord, la question de la nature de la conférence. Il fallait à tout prix que les Belges et les Congolais s’entendent sur la compétence de ces assises.  Pour les délégations congolaises, la Table Ronde ne devait pas être une simple assemblée consultative.  La présence des membres du gouvernement belge et des parlementaires engageait la Belgique.  Celle–ci devait adopter telles quelles les ré-solutions de la Conférence. Un parlementaire belge souligna que le parlement veillerait à ce que la création des Institutions congolaises se fît conformément aux désirs des délégués congolais.  Le ministre du Congo engagea le gouvernement moralement et politiquement.  Le Cabinet saisirait le parlement, dans les délais les plus brefs,  des projets de lois concernant les structures et les Institutions du Congo indépendant.  Le ministre accepta de lier son sort ministériel aux projets. 

Par la suite, le Front Commun imposa à la discussion la date de l’indépen-dance. Après concertation entre les délégations congolaise et belge, la date du 30 juin 1960 fut retenue. 

Enfin, le Front Commun engagea des discussions sur le contenu de l’indépendance. La très grande majorité des délégués revendiquèrent l’indépendance totale, sans aucune restriction, alors que le ministre du Congo voulait garder encore certains domaines réservés pour la Belgique. L’assemblée plénière finit par adopter le principe du transfert au Con-go de la totalité des compétences législatives sans aucune réserve. 

Comme résultats, seize résolutions furent adoptées le 19 février à la table ronde politique.  Elles peuvent être regroupées en quatre rubriques : la date de la proclama-tion de l’indépendance ; les Institutions du futur Etat : attributions du gouvernement central et des gouvernements provinciaux ; attributions des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ; association des Congolais au gouvernement pendant la transition; le régime électoral ; les garanties à donner aux biens et aux personnes. 

La conférence de la table ronde aboutit à un succès parce que les participants belges et congolais surent, en dépit des incidents, faire preuve, de part et d’autre, d’ardeur au travail, de largeur de vues et de beaucoup de compréhension mutuelle. Les négociations avaient été menées avec sérieux, courtoisie et diligence. Les débats avaient été empreints de franchise, et les représentants congolais avaient su faire preuve du sens de responsabilité.  L’union des Congolais et leur tolérance mutuelle payaient.  Les délégués congolais avaient su mettre une sourdine au tribalisme, démon familier des partis ethniques et régionaux. 
 

 
 

LA TABLE RONDE POLITIQUE ENTRAINE LA TABLE RONDE ECONOMIQUE 

Sur proposition d’un membre du gouvernement belge, la table ronde politique retint dans l’une de ses résolutions l’idée d’une deuxième conférence consacrée uniquement aux problèmes économiques, financiers et sociaux.  Il fallait rétablir la confiance et rassurer les milieux d’affaires belges en leur donnant des garanties et en maintenant des liens étroits entre la Belgique et le Congo. 

Craignant de se lier les mains, les délégués des partis nationalistes réduisaient la portée de cette conférence économique à un simple « inventaire » de la gestion belge en Afrique. Appréhendant que la Belgique ne reprît d’une main ce qu’elle avait lâché de l’autre, ils ne voulaient en aucun cas prendre un quelconque engagement. Ils réservaient la décision au futur gouvernement congolais qui négocierait librement, sans la moindre contrainte, les accords de coopération et d’assistance. 

La conférence de la table ronde économique, finan-cière et sociale se tint au Palais des Congrès à Bruxelles du 26 avril au 16 mai 1960. 

Cette deuxième table ronde fut surtout, du côté congolais, une conférence de lieutenants de partis et des suppléants de janvier. Elle fut négligée par les chefs des partis préoccupés par la campagne électorale proche et par leurs fonctions au sein des collèges exécutifs à Kin-shasa et dans les chefs-lieux de province. 
La table ronde économique accueillit une quarantaine de délégués des partis congolais assistés par une dizaine de leurs conseillers belges. 
La table ronde économique, financière et sociale admit aussi une dizaine de Congolais - les uns délégués du Pouvoir transitoire à Kinshasa, les autres membres de la commission politique instituée auprès du ministre du Congo après la première table ronde  politique. 

Le gouvernement belge se fit représenter par cinq ministres, assistés par une pléiade de conseillers venus de différents ministères et de la haute administration coloniale. Les deux assemblées législatives belges déléguèrent chacune dix  membres. 
Chose nouvelle par rapport à la première table ronde, une  trentaine d’obser-vateurs furent conviés aux travaux de la conférence économique. Les uns représentaient le secteur privé, d’autres les syndicats congolais. D’autres encore, européens et africains, suivaient la conférence pour le compte du Ruanda-Urundi. 
Les délégués congolais apparurent moins unis à la table ronde économique qu’à la table ronde politique. Le Cartel ABAKO était disloqué. 

Les politiques, méfiants, taxaient les universitaires de « crypto-colonialistes ». Ils les accusaient d’être manipulés par leurs professeurs. Le Front National constitué à la table ronde économique fut une réplique très pâle du Front Commun. 

Deux commissions furent formées. La première fut chargée des problèmes immédiats, à très court terme, touchant la monnaie et les finances publiques. La seconde s’occupa des problèmes à moyen et long terme concernant le développement économique, la promotion sociale et la coopération entre la Belgique et le Congo. 

Au total, dix–huit résolutions furent présentées et retenues à la fin des travaux.  Les résolutions de la table ronde économique donnèrent satisfaction aux milieux d’affaires belges, car elles rejoignaient leurs préoccupations.  La table ronde écono-mique affirma le libéralisme économique et donna des garanties contre les nationalisations.  Elle se prononça pour le maintien de l’ordre, la liberté des transferts financiers, la stabilité du régime fiscal et l’établissement d’une zone monétaire belgo–congolaise. 

Il faut toutefois déplorer que la pusillanimité des délégués congolais à la table ronde économique ait privé le Congo indépendant des pouvoirs prépondérants dont il eût disposé en reprenant la direction du Comité Spécial du Katanga, le plus gros ac-tionnaire de l’Union Minière du Haut–Katanga : ils ont demandé au gouvernement belge d’abroger avant le trente juin les pouvoirs con-cédants des compagnies à charte.? 

Jean–Marie MUTAMBA MAKOMBO
 
 
 
 
 
 
 

 

 
 
 
 
 
 

 
 

 

 
 

 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 

 

 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 

 

 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 

 
 
 
 
 
 

 
 

 

 
 

 
 
 
 
 
 
 

 
 

 

 
 

 
 
 
 
 
 
 

 
 

 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 

 
 

 

 

 
 
 
 
 
 

 
 
 
 

 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 


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