LA COMMISSION CONSTITUTIONNELLE DE LULUABOURG
Un projet mort-né !
Ce n’est pas sans une certaine révérence que l’on parle
de la Commission Constitutionnelle de Luluabourg et de son œuvre : la Constitution
du 1er août 1964, présentée comme la première
Constitution élaborée par des Congolais pour les Congolais.
A 35 ans de distance, à l’aube du XXIè siècle, à
la veille d’un Grand Débat Natio-nal, en plein processus d’élaboration
d’une autre Constitution Congolaise, il n’est pas sans intérêt
de revenir sur cette Commission de Luluabourg, dont le prestige historique
demeure im-mense, pour en tirer des leçons pour le présent
et pour l’avenir.
Comme on le sait, la Loi Fondamentale du 19 mai 1960 relative
aux structures du Congo est l’œuvre des Chambres belges, à partir
des résolutions de la Table Ronde politique belgo-congolaise.. Elle
a été promulguée par le Roi des Belges Baudouin 1er
selon la formule « Donné à Bruxelles, le 19 mai 1960
», avec le contreseing du Ministre du Congo Belge et du Rwanda-Urundi,
M. De Schryver.
Dès ce moment, les nationalistes congolais exprimèrent
leur volonté que la Constitution définitive du Congo soit
l’œuvre exclusive des Congolais eux-mêmes afin d’éviter toute
survivance néocolonialiste. En fait, la Loi Fondamentale était
destinée à servir de matrice à l’indépendance
congolaise et à accompagner la naissance de l’Etat congolais. Juste
le temps de s’affermir, la Nation se devait d’abandonner ces béquilles
juridiques apprêtées par l’autorité coloniale. Du reste,
la Loi Fondamentale elle-même, en son article 3, prévoyait
que ses dispositions resteront en vigueur jusqu’à la mise en place
des institutions publiques qui auront été organisées
par la Constitution.
Bien avant l’éclatement de la crise congolaise, la Loi Fondamentale
faisait déjà l’objet de diverses critiques. On lui reprochait
notamment l’artificialité de la subdivision du Congo en six provinces,
la paralysie inhérente au caractère bicéphale de l’Exé-cutif,
l’inadéquation de la répartition des pouvoirs et des compétences
entre le Gouvernement Central et les provinces. Avec ses 258 articles,
elle était d’une grande complexité et laissait par ailleurs
de nombreux problèmes irrésolus, de même qu’elle entretenait
des ambiguïtés et équivoques constitutionnelles. Vaguement
inspirée par le modèle monarchique parlementaire belge, organisant
un fédéralisme implicite et rampant saupoudré de quelques
mécanismes unitaristes, la Loi fondamentale était déjà
grosse et porteuse de tous les orages institutionnels. Il fallait
donc, après l’indépendance, reprendre l’écheveau constitutionnel
et, dans un mouvement d’autochtonie ou d’inculturation constitutionnelle,
arriver à doter le Congo d’une Constitution propre et adaptée.
MISE SUR PIED D’UNE COMMISSION CONSTITUTIONNELLE GOUVERNEMENTALE
A la suite des Conférences de Léopoldville (janvier 1961)
et de Tananarive (mars 1961) qui discutèrent en particulier des
structures de l’Etat et du nombre de provinces, la Conférence de
Coquilhatville d’avril 1961 donna mandat au Premier Ministre Ileo de créer
une Commission constitutionnelle gouvernementale. La présidence
en fut confiée à Monsieur Lihau, Secrétaire d’Etat
à la Justice et ancien membre du Collège des Commissaires
Généraux mis en place par le colonel Mobutu lors de son premier
coup de force le 14 septembre 1960. Il comprenait également trois
autres universitaires : Tshibangu, Ndele et Mbeka.
Après la réunion (Con-clave) du Parlement à Lovanium
(juillet 1961), encouragée par l’ONU, le nouveau Premier Ministre
C. Adoula maintint Lihau à la tête de la commission, tout
en la rattachant à son Cabinet pour mieux en suivre les travaux.
Après que le Sénat, craignant de ne jouer qu’un rôle
consultatif et figuratif eût refusé de travailler avec la
Commission gouvernementale, cette dernière se contenta de la seule
collaboration de la sous-commission constitutionnelle de la Chambre des
Représentants. En plus de cet apport parlementaire, la Commission
bénéficia également des avis du Conseil de Législation
du Ministère de la Justice et de certains professeurs de l’Université
Lovanium. Un groupe d’experts étrangers (le Ministre de la Justice
du Nigeria ; M. Gei-ger, professeur d’une école supérieure
de commerce suisse ; M. Quaeri, professeur à l’Université
de Naples), recrutés par l’ONU, fut chargé d’assister la
Commission.
Soucieux de répondre aux aspirations autonomistes des provinces
et de favoriser la réintégration du Katanga, en sécession
depuis le 11 juillet 1960, dans le giron congolais, les experts internationaux
présentèrent un projet à orientation nettement fédéraliste
qui n’obtint pas l’assentiment de la Com-mission gouvernementale. Dans
une interview faite au Journal de Genève (fin mai 1962), M. Lihau
ira jusqu’à dire que rien d’utile n’était pratiquement sorti
de cette collaboration.
Après l’échec des pourparlers avec Tshombe, M. Adoula
publiera, en avril 1962, un mémorandum aux termes duquel le Gouvernement
s’engageait à déposer devant les chambres législatives,
dans un délai de deux mois, un projet de Constitution qui maintient
l’unité de l’Etat, tout en assurant une large autonomie de gestion
aux provinces. Fin juillet 1962, il adressait une note aux gouvernements
et aux assemblées des provinces ainsi qu’aux groupes politiques
les invitant à présenter leurs avis et desiderata sur les
dispositions à inclure dans la Constitution.
IMPLICATION DE L’ONU ET INSOUCIANCE DES DEUX CHAMBRES
Pour sa part, le Secrétaire Général de l’ONU, M
. U Thant, proposa, le 10 août 1962, un plan qui prévoyait
l’élaboration d’une Constitution fédérale et l’adoption
d’une répartition des revenus qui tienne compte des ressources et
des besoins de l’ensemble des provinces. Largement influencée par
le plan U Thant, l’équipe internationale d’experts, auxquels M.
C. Adoula avait remis le projet gouvernemental en juillet 1962 avec pour
mission de l’achever, déposera, le 27 septembre 1962, un projet
de Constitution assez éloigné de celui du Gouvernement, ravalé
au simple rang de document de consultation, parmi tant d’autres !
Endossant, sous une certaine pression occidentale, le projet des experts
internationaux, Adoula le communiqua aux bureaux des deux Chambres le 13
octobre 1962 et, entre le 16 et le 23 octobre, à la Conférence
des présidents provinciaux réunis à Léopoldville.
Les autorités katangaises, pourtant invitées, n’y assistaient
pas.
Lors de la 5ème session ordinaire du Parlement ouverte le 5 novembre
1962, alors que le Président de la République avait recommandé
l'examen de la question constitutionnelle, celle-ci prit fin sans que le
point ait été abordé, au milieu d’une grande agitation
politique caractérisée par une lutte ouverte entre l’opposition
et le Gouvernement.
Dans son discours inaugural, prononcé à l’occasion de
l’ouverture solennelle de la 6ème session ordinaire du Parlement,
le 23 mars 1963, le Président Kasa-Vubu recommanda aux parlementaires
d’examiner en priorité l’avant-projet de Constitution de type fédéral
élaboré par des experts internationaux et de l’adopter aux
réalités particulières de notre pays.
Mais, comme à l’accoutumée, le Parlement versa dans la
bagatelle et le dérisoire : débats et vote au Sénat
sur la suppression du journal « Le Progrès », interpellations
et motions de censure à répétition, création
de nouvelles provinces …
Au début du mois d’avril 1963, le Parlement décida la
création d’une Commission mixte Sénat-Chambre, chargée
des travaux relatifs à la révision constitutionnelle, présidée
conjointement par les Présidents des deux Assemblées, M.
I. Kalonji pour le Sénat et M. Midiburo pour la Chambre. En réalité,
elle fut présidée par ce dernier. Organisée sur la
base du volontariat mais représentative de toutes les tendances,
la Commission comptait 16 sénateurs et 28 députés.
Ses travaux furent handicapés par l’absentéisme des membres
et, dit-on aussi, par une certaine ignorance du droit constitutionnel.
Aussi fut-il décidé qu’elle poursui-vrait ses travaux pendant
les vacances parlementaires. Cependant, l’opposition entre fédéralistes
et unitaristes (M.N.C.L. et P.S.A.-Gizenga) minoritaires dans la Commission
mais habiles dans l’obstruction, freina tout progrès.
Pour toutes ces raisons, le Président Kasa-Vubu préféra,
à quelques jours de la date constitutionnelle prévue pour
la 7ème session ordinaire des Chambres, ouvrir, par Ordonnance n°
184 du 22 août 1963, une session extraordinaire et convoquer les
Chambres en Assemblée Constituante pour une durée de cent
jours, à dater du 31 avril 1963. Parmi les motifs avancés
figurent le risque de voir la première législature prendre
fin sans que les Chambres accomplissent leur tâche primordiale de
pouvoir constituant et dotent le pays de la Constitution définitive
dont dépend la stabilisation de sa vie politique ; la proximité
des élections à tenir avant la fin du mois de juin 1964 et
l’expérience des précédentes sessions (trois longues
années) où les Chambres ont été absorbées
par les activités législatives et parlementaires ordinaires.
Certains parlementaires de l’opposition crièrent à la
violation de la Loi Fondamentale. D’autres souhaitèrent poursuivre
en même temps les travaux ordinaires des Chambres, de façon
à réserver quelques séances aux motions de censure,
sport favori des parlementaires. Divers problèmes de procédure
contribuèrent également à ralentir les travaux de
la Constituante. Jusqu’à la mi-septembre, les parlementaires en
étaient encore à discuter : fallait t-il siéger séparément
où les deux Chambres réunies ? à qui confier la présidence
(Président du Sénat ou de la Chambre) en cas de réunion
conjointe ? quel lieu choisir comme siège de la Constituante ?
MISE EN CHANTIER DE LA CONSTITUANTE
La tension croissante entre le Gouvernement et le Parlement poussa le
Chef de l’Etat, devant la compromission des chances de réussite
de la Constituante, après avoir déploré le fait que
les préoccupations des parlementaires allaient à des questions
partisanes et d’intérêt secondaire, à prendre l’Ordonnance
n° 226 du 29 septembre 1963 clôturant la session parlementaire
extraordinaire. Il congédiera ainsi les deux Chambres pour carence
et impuissance, et désignera une Commission d’élaboration
d’un projet de Constitution à soumettre au référendum.
Le même jour, il prit une autre Ordonnance (n° 227) qui accordait
au Président de la République, dans le souci de maintenir
la continuité de l’Etat, l’exercice du pouvoir législatif
par ordonnances-lois, jusqu’à la proclamation de la Constitution.
A la publication des deux ordonnances du 29 septembre 1963, les partis
d’opposition organisèrent des manifestations violentes contre le
Gouvernement. Tout en approuvant la mise en congé du Parlement,
les syndicats revendiquaient une réforme de régime et un
gouvernement de salut public. Par l’Ordonnance n° 240 du 19 octobre
1963, la zone de Léopoldville fut déclarée en état
d’exception et placée sous régime militaire. Des mesures
d’interdiction furent prises à l’endroit des partis nationalistes
et leurs dirigeants arrêtés, de même que les responsables
des principaux syndicats. Ceux des dirigeants de l’opposition qui ne furent
pas arrêtés trouvèrent refuge à Brazzaville
où ils créèrent le Conseil National de Libération
(C.N.L.). C’est dans ce contexte que se prépare la tenue de la Commission
constitutionnelle de Luluabourg.
L’Ordonnance n° 226 du 29 septembre 1963 précisait que la
Commission était chargée uniquement de discuter et d’élaborer
le projet de Constitution (art. 1er), qu’elle disposait pour ce faire d’un
délai maximum de cent jours à partir de sa première
réunion (art. 4), et que le projet sera soumis à un référendum
dans le délai d’un mois après son dépôt (art.
5). Les membres devaient être désignés par une ordonnance
sur proposition du Conseil des Ministres (art. 2).
Aux termes de l’Ordonnance n° 278 du 27 novem-bre 1963, la Commission
était ainsi composée de : un président, membre du
Gouvernement Central ; 4 représentants du Gouvernement Central :
42 représentants des assemblées provinciales (à raison
de deux personnes par assemblée dont un chef coutumier) ; 42 représentants
des gouvernements provinciaux (à raison de deux personnes par gouvernement)
; 12 représentants des travailleurs ; 16 représentants des
employeurs ; 9 représentants des collectivités rurales, 2
du Conseil National de la jeunesse, 2 de la presse, 2 des associations
d’étudiants, 6 des confessions religieuses (catholiques, protestants
et kimbanguistes). Soit au total 127 participants dont 93 provenant
des provinces et milieux ruraux.
Il y a lieu de noter l’absence des représentants officiels du
Sénat et de la Chambre des Représentants ainsi que des partis
politiques. Sans doute que les uns et les autres étaient tenus pour
responsables de la faillite du Parlement dans sa mission de doter le pays
d’une nouvelle Constitution.
Notons au passage que l’Ordonnance n° 278 organi-sait un fort encadrement
gouvernemental de la Commission : le Président est un membre du
gouvernement Central ; le Secrétaire Général et les
Secrétaires de la Commission ; sont nommés par le Premier
Ministre ainsi que les rapporteurs des sous-commissions : fixation du règlement
intérieur par Arrêté du Premier Ministre … La Commission
devait siéger à huit clos, mais chaque semaine, son rapporteur
était tenu de faire parvenir au Gouvernement un rapport sur les
travaux de la Commission, avec en annexe les dispositions constitutionnelles
adoptées au cours de la semaine (art. 12). En cas de divergences
d’opinions, des textes séparés exprimant les diverses opinions
devraient être transmis au Gouvernement qui choisirait alors celui
des textes à incorporer dans le projet définitif de Constitution
(art. 13).
Fin 1963, pendant que se déclenchait la rébellion muleliste,
Monsieur Joseph Ileo, Ministre d’Etat et ancien Président du Sénat,
sera nommé Président de la Commission (Ord. N° 295 du
13 déc. 1963) et Monsieur Lihau Secrétaire Général.
Les Ordonnances n° 316 du 30 décembre 1963 et n° 28 du 14
février 1964 donneront la liste des participants effectifs et de
leurs suppléants. Les Ministres Bomboko (Justice), Maboti (Intérieur),
Bamba (Finances) et Rudahindwa (Mines) y représentaient le Gouvernement.
Entre-temps, le siège de la Commission avait été fixé
à Luluabourg et la Commission convoquée pour le 10 janvier
1964 (Ord. n° 315 du 30 déc. 1963). L’Union Générale
des Etudiants Congolais (U.G.E.C.) qui, arguant de l’illégalité
de la Commission, avait refusé de participer à ses travaux,
fut désavouée par un groupe d’étudiants dénommé
« Fédération des Etudiants Congolais » dont les
délégués rejoignirent Luluabourg.
DEBAT ET EMPOIGNADES
Dès la première séance de travail, la Commission
s’interrogea sur sa nature : simple commission consultative comme le laisserait
entendre l’Ordonnance n° 278 ou véritable assemblée constituante,
bénéficiant d’un mandat direct de la part de la Nation congolaise,
comme le laissait supposer le discours inaugural du Chef de l’Etat ?
Le problème de la légalité du Bureau imposé
à la Commission par une ordonnance présidentielle, contrairement
à la tradition des conférences du genre, fut également
soulevé. Finalement, la Commission se plia à la force de
l’ordonnance, mais tout en adoptant une résolution de confirmation
du Bureau.
Une fois le travail de la Commission terminé, le Gouvernement
disposera-t-il du droit de l’amender avant de le soumettre au référendum
? Quel mode de vote adopter afin de rétablir l’équilibre
entre les délégations représentant les pouvoirs publics
et celles des organisations d’intérêt national ? Vote individuel
par appel nominal ou vote par délégation ? Ayant décidé
d’élaborer son propre règlement intérieur, en lieu
et place du Gouvernement, la Commission attribuera une voix à chaque
délégué des pouvoirs publics et deux voix aux autres
délégués.
La Commission se subdivisera en quatre sous-commissions : politique
et administrative (33 membres dont Mgr. Malula, Rév. Kayumba
le Kimbanguiste Luntadila et A. Kithima) ; judiciaire (23 membres
dont le R.P. Ekwa) ; économique et sociale (30 membres dont Bo-Boliko)
; financière (24 membres).
Au cours des débats, s’agissant de la forme de l’Etat, le principe
de la répartition des compétences entre le Gouvernement Central
et les provinces fut consacré sans problème. En revanche,
les empoignades ont eu lieu lorsqu’il s’est agi de qualifier le régime
mis en place. Pour les partisans du régime fédéral,
la consécration du principe de répartition impliquait une
prise de position en faveur du fédéralisme. Il ne restait
plus qu’à introduire le terme « fédéral »
dans la Constitution même, après avoir admis son contenu.
Compte tenu de l’interprétation que les Congolais donnent aux concepts
« fédéral » et « unitaire », les
délégués des organisations syndicales, craignant la
provocation des réactions psychologiques susceptibles de compromettre
le succès du référendum, proposèrent que ni
le terme « unitaire », ni l’expression « fédéral
» ne figurent dans la Constitution. C’est ce qui explique que la
Constitution de Luluabourg apparaît comme une Constitution fédérale
à retardement, une Constitution à double cran ou une Constitution
gigogne. Dans le texte de base, le mot « fédéral »
fut systématiquement évité d’un bout à l’autre.
Toutefois, l’article 178 disposait que le texte de Constitution contenant
la terminologie fédéraliste, annexé à la Constitution
du 1er août 1964, entrera en vigueur au début de la troisième
législature (soit vers 1972-73).
Des débats très animés surgirent à l’occasion
de l’examen du titre relatif aux finances publiques, opposant les représentants
des provinces considérées comme riches (Katanga Oriental,
Lualaba, Nord-Katanga, Bakwanga, Kongo Central) aux autres provinces. L’article
consacré à la répartition des recettes fiscales accapara
à lui seul les trois quarts du temps de travail de la sous-commission
financière.
Après deux jours de discussions sans issue en plénière,
le compromis suivant fut obtenu : le produit des droits d’importation appartient
à la République ; le produit des impôts personnels
et des impôts sur les revenus appartient aux provinces intéressées
; le produit des droits d’exportation, des droits d’accise et de consommation
nationaux et des impôts sur les sociétés est réparti
entre la République et les provinces, la quote-part d’une province
variant entre un minimum de 45% et un maximum de 75%, tandis que le produit
de tous les autres impôts, droits et taxes appartient aux provinces
ou aux collectivités locales (art. 146).
POINTS SAILLANTS DE LA CONSTITUTION DE LULUABOURG
La Constitution de Luluabourg consacre un fédéralisme
plus accentué que dans la Loi Fondamentale. Alors que dans la Loi
Fondamentale, les matières résiduelles ressortaient de la
compétence concurrente du pouvoir central et des provinces, dans
la Constitution de Luluabourg, elles sont attribuées aux provinces
exclusivement.
En ce qui concerne la structure des pouvoirs, désormais le pouvoir
exécutif est entre les mains du Président de la République
qualifié de « Chef de l’Exécutif Central », chargé
de « déterminer et conduire la politique de l’Etat »,
de « fixer le cadre de l’action du Gouvernement et d’informer le
Parlement de son évolution » (art. 54). Il nomme et révoque
le Premier ministre et les Ministres, sur proposition du Premier ministre.
Le bicaméralisme est maintenu (Sénat et Chambre des députés),
mais pour assurer la stabilité du Gouvernement, la motion de censure
est supprimée. Désormais, le Parlement doit apprendre à
se contenter de la question orale ou écrite, l’interpellation, l’audition
par les commissions, la commission d’enquête, l’avertissement ou
la remontrance (art. 69).
En corollaire, le pouvoir exécutif perd le droit de dissoudre
le Parlement. La disparition de la motion de censure et du droit de dissolution
ainsi que le fait que « le Premier Ministre dirige l’action du Gouvernement
Central dans le cadre du programme tracé et des décisions
prises par le Président de la République » (art. 68)
font penser à un régime présidentiel dont Patrice-Emery
Lumumba souhaitait l’avènement.
Cependant, d’autres analystes dont A.R. Ilunga, B. Kalonji, B. Verhaegen
et A. Wembi, se fondant en particulier sur l’élection du Président
de la République au suffrage universel indirect (collège
électoral élargi) et sa participation à la législation
(initiative des lois) préfèrent parler d’un régime
hybride. Quant à M. I. Ndaywel, il y voit facilement un régime
parlementaire du fait du choix du Premier Ministre dans la majorité
parlementaire. Mais était-il constitutionnellement tenu d’opérer
un tel choix ?
S’il est vrai que l’acte de nomination des membres du Gouvernement devait
être soumis à l’approbation du Congrès National (chambres
réunies du Parlement), ce qui nécessitait l’appui de la majorité
parlementaire, il n’en demeure pas moins que, pour le reste, la période
post-investiture, l’existence du Gouvernement dépendai du
seul Chef de l’Etat. Alors, autant parler de présidentialisme mitigé
! A moins d’y trouver les traits d’un régime « semi-présidentialiste
» (P. Dabin) !
UNE CONSTITUTION DANS UN CLIMAT DE CONFLIT
Sur le sort à réserver au projet de Constitution adopté
par la Commission de Luluabourg, deux thèses s’affrontèrent.
Pour le Premier Ministre C. Adoula, le Gouvernement étant constitutionnellement
responsable de l’exécution de tous les actes posés par le
Chef de l’Etat, y compris l’organisation du référendum, il
ne peut procéder en toute responsabilité à cette tâche
sans avoir vu et, au besoin, revu le projet de Luluabourg. Il alla jusqu’à
rappeler que la Commission constitutionnelle était « l’enfant
du Gouvernement ».
A ces intentions du Gouvernement, les membres de la Commission, y compris
son Président Ileo, réagirent vigoureusement, affirmant que
leur projet ne pouvait être amendé, sinon ils dégageraient
leur responsabilité et le référendum serait compromis.
Pour la Commission, le travail accompli reflétait l’opinion de la
Nation, dont celle du Gouvernement Central lui-même.
Face au risque d’ouvrir un conflit qui ferait le jeu du CNL et d’autres
mouvements hostiles au gouvernement, un consensus fut obtenu selon lequel
le Gouvernement cautionnerait le projet avant de le présenter au
Chef de l’Etat pour le référendum, à organiser avant
le 30 juin 1964, mais sans l’amender. Un Comité de référendum
fut constitué par Ordonnance n° 121 du 1er mai 1964 chargé
d’assister le Gouvernement. En faisaient partie notam-ment A. Bo-Boliko
et J. Bomboko.
Arguant de leur non consultation, les membres de certains partis nationalistes
(MNC-L aile Kiwewa, PANACO, PUNA, UNIBAT, BALUBAKAT ...) manifestèrent
leur opposition au projet de Constitution. Les leaders du CNL basés
à Brazzaville et à Bujumbura soulevèrent l’illégalité
de la Commission de Luluabourg, en rejetant tout le travail en bloc. En
revanche, les évêques catholiques exhortèrent les fidèles
à participer au référendum, en soulignant que le projet
respecte les droits de Dieu et de la personne humaine et qu’ils peuvent
l’approuver en toute sûreté de conscience.
En définitive, le référendum eut lieu du 25 juin
au 10 juillet 1964. Dans son appel au peuple congolais du 29 juin 1964,
le Comité du référendum résumait ainsi, de
façon lapidaire, l’enjeu : « Voter Non, c’est accepter que
la Loi Fondamentale avec ses désordres et confusion politiques continue
à nous régir, tandis qu’en votant Oui, c’est doter notre
pays de la Constitution élaborée par les Congolais à
Luluabourg ».
En fin de compte, la Constitution fut adoptée par 88,84% des
Oui, contre 9,79% des Non et 1,37% des bulletins nuls. Elle fut promulguée
par le Président Kasa-Vubu le 1er août 1964, avec les contreseings
du Premier Ministre Tshombe ainsi que des Ministres de l’Intérieur
(G. Munongo) et de la Justice (L. Mamboleo).
C. Adoula ne figure pas parmi les signataires parce que, au 30 juin
1964, tirant la conséquence de l’expiration de la première
législature, il remettait la démission de son Gouvernement
au Président Kasa-Vubu. Le 9 juillet 1964, il était remplacé
par le Gou-vernement de transition de M. Tshombe, soutenu par une partie
du C.N.L. et par le Groupe de Binza (Mobutu, Bomboko, Nendaka ..). Malgré
l’installation à Stanleyville d’un gouvernement de la République
Populaire du Congo, Tshombe arrivera à écraser la rébellion
avec l’aide des mercenaires, des Belges et des Américains. Ne subsisteront
que quelques poches de résistance, dont celle de L.D. Kabila., l’actuel
Président de la République
Fort de son succès, M. Tshombe entreprend des actions politiques
en fonction des élections législatives pré-vues pour
mars 1965. La CONACO (Convention Nationale Congolaise regroupant 45 partis
et associations) lui permet d’obtenir une majorité parlementaire.
Mais la rivalité pour les présidentielles accroîtra
la tension avec le Président Kasa-Vubu qui préférera
le révoquer le 13 octobre 1965 et le remplacer par Evariste Kimba.
Son Gouvernement n’obtiendra pas la confiance du Parle-ment le 14 novembre
1965, mais le Président Kasa-Vubu préféra le reconduire
dans sa mission de formateur.
C’est dans ce climat de conflit entre l’Exécutif et le Législatif
que, le Lieutenant-Général J.D. Mobutu, qui fourbissait ses
armes depuis longtemps, prendra le pouvoir le 24 novembre 1965. Le communiqué
du Haut Commandement de l’A.N.C. diffusé à la Radio nationale
annonçait la destitution du Président Kasa-Vubu, la fin de
la mission de Kimba comme formateur du Gouvernement, la continuation du
fonctionnement des institutions démocratiques de la République
(Sénat, Chambre des Députés et institutions provinciales)
telles que prévues par la Constitution du 1er août 1964. Le
Colonel Mulamba était chargé de former un gouvernement représentatif
d’union nationale. Très vite, le Parlement sera congédié
et le 24 juin 1967 était promulguée la Constitution de la
République Démocratique du Congo, abrogeant la Constitution
du 1er août 1964 de Luluabourg, avec les contreseings des Ministres
de l’Intérieur E. Tshisekedi et de la Justice J. N’Singa. Le reste
de l’histoire lugubre de la IIe République est fort bien connu !
?
Professeur NTUMBA LUABA LUMU
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