LA CONFERENCE NATIONALE
SOUVERAINE DU ZAIRE
UNE OCCASION MANQUEE
Le forum national le plus long de l’histoire du Congo a constitué
le point culminant de la plus longue transition politique dont la durée
(7 ans) a dépassé celle de la 1ère République
(5 ans). Encore faut-il se demander si nous en sommes sortis. Les espoirs
suscités dans le peuple et qui se sont manifestés à
travers les élans émotionnels autour de la Conférence
nationale Souveraine (C.N.S.) sont à la hauteur des déceptions
qui ont suivi sa fin en queue de poisson et l’échec d’une mise en
pratique de ses résolutions. D’où des jugements parfois
très sévères à l’égard d’un événement
qui n’a pas cessé de hanter les mémoires des Congolais. La
C.N.S. ne laisse personne indifférente ; ou bien on est pour, ou
bien on la vilipende.
Ces attitudes à l’égard de la dernière tentative
de trouver une solution pacifique et définitive à la crise
qui secoue notre pays depuis son indépendance, ont leurs explications
à la fois dans les constances qui forment le soubassement de la
vie politique congolaise et dans la manière dont la Conférence
Nationale a été aperçue, conçue et conduite.
Le prologue, le déroulement et le bilan de la CNS étant l’objet
de l’article, il serait intéressant de rappeler, dans l’introduction,
les constances régissant notre nation.
En effet, il ressort des événements mouvementés
qui composent la trame de l’histoire politique du Congo depuis son accession
théorique à la souveraineté internationale, deux continuités.
La première est une rupture quasi permanente entre les masses et
les dirigeants, entre la société civile et la classe politique.
C’est au paroxysme de la rupture qu’apparaissent les crises aiguës.
Par contre, les quelques moments de paix que notre pays ait connus correspondent
à la prise en compte des intérêts du peuple par la
classe politique dirigeante. Pour illustrer cette pensée,
il suffit de se rappeler que le mouvement de démocratisation, dont
la CNS fut le temps fort, est parti des revendications du peuple qui furent
récupérées et détournées par les politiciens.
La deuxième constance est la volonté du peuple congolais,
tout au moins sa majorité, de sauvegarder l’Etat hérité
de la colonisation comme cadre de son développement, avec son corollaire
: la quête d’une nation prospère. A ce corollaire s’ajoute
de plus en plus un second : la voie démocratique entrevue comme
moyen de réalisation de l’objectif national.
L’attachement à l’unité nationale est à la base
des nombreux soubresauts du sentiment national qu’on voit resurgir du peuple
chaque fois que le pays atteint le creux des vagues et qu’il est menacé
d’anéantissement ou d’éclatement. La lutte contre les sécessions,
les réactions contre l’actuelle guerre d’agression et en particulier,
la bataille de Kinshasa en août 1998, peuvent nous servir d’illustration
à cette thèse.
Ces idées ci-devant avancées, auxquelles il convient d’associer
les trois idéologies fondamentales qui dictent le comportement des
hommes politiques congolais, à savoir la réaction, le conservatisme
et le nationalisme progressiste, peuvent nous aider à suivre les
méandres de la Conférence Nationale du Zaïre tenue du
7 août 1991 au 6 décembre 1992 au Palais du Peuple à
Kinshasa.
ORIGINES : L’ECHEC DU SYSTEME MOBUTU
La Conférence Nationale fut le résultat des controverses
suscitées par les décisions de réforme annoncées
dans le discours du 24 avril 1990 du Maréchal Mobutu et par les
mesures d’application qui semblaient en retrait.
Il faut d’abord chercher les origines de ce qui fut présenté
comme un fait de prince octroyant des libertés à ses sujets.
En réalité, le discours du 24 avril était un aveu
d’échec du système inauguré 25 ans auparavant par
le coup d’Etat militaire du 24 novembre 1965. La dictature mobutienne basée
sur un autocratisme excessif, la confiscation de l’économie au profit
d’une oligarchie compradore et l’exploitation des bas instincts, avait
engendré la paupérisation de la paysannerie et des salariés
ainsi que des antagonismes sociaux. Ces faits étaient aggravés
par l’usure du pouvoir due à un long règne sans partage.
En outre, l’opposition flagrante entre les intérêts du
peuple et ceux de ses dirigeants longtemps camouflée sous l’idéologie
de « l’authenticité » s’exprima d’abord en indifférence
vis-à-vis du MPR Parti-Etat avant d’éclater en désobéissance
passive et, finalement, en révoltes. A ce propos, le malaise apparaît
déjà dans les années 80 avec les guerres du Shaba
(1977 et 1978) et celles de Moba (1984) où le maquis kabiliste jamais
éteint depuis 1964 semblait reprendre de l’élan.
Pendant ce temps, à l’intérieur, les treize parlementaires
et les partisans du PALU mettent à mal le régime, tout comme
l’agitation sociale qui gagne en ampleur avec les jacqueries des paysans,
les grèves sauvages des ouvriers et l’agitation estudiantine. C’est
d’ailleurs une manifestation des étudiants, fin 1989, qui a donné
l’occasion à Mobutu de prendre les devants d’une solution à
la crise, dans l’idée que l’initiative lui serait avantageuse.
A ces causes internes, il faut ajouter le contexte international de
plus en plus néfaste aux dictateurs africains. En effet, l’écroulement
du bloc communiste a eu des répercussions sur le continent noir.
Mobutu jusque-là couvert dans ses abus par l’Occident, au nom de
la lutte contre le communisme, devenait inutile et même gênant
à cause de ses atteintes systématiques aux droits de l’homme
et de sa gabegie financière, laquelle dérangeait les affaires
des multinationales occidentales.
En outre, les événements de l’Est provoqués par
la Pérestroïka étant fort médiatisés,
faisaient ressortir la similitude entre les dictatures communistes et africaines.
On a même rapporté que l’exécution sommaire de Ceausesku
aurait provoqué une forte émotion de son émule et
ami zaïrois.
C’est donc la pression des oppositions intérieures et le mauvais
exemple donné par la désagrégation du monde communiste,
événements auxquels on a l’habitude de joindre les effets
médiatiques du discours de la Baule, qui ont poussé Mobutu
à lâcher du lest. Voulant créer une illusion démocratique
comme en 1978 lorsqu'il lança la « libéralisation »,
il venait en réalité de déclencher l’ouragan qui allait
l’emporter.
CONFRONTATION DES ENJEUX POUVOIR-PEUPLE
Un malentendu marque les débuts du processus de démocratisation,
malentendu entre le Pouvoir qui pensait octroyer les libertés d’en
haut et le peuple qui croyait se libérer. Le premier veut conduire
le processus de changement à son rythme, le second s’en méfie
et tient à récupérer ses prérogatives. L’un
veut limiter le changement à un replâtrage du régime,
l’autre tient à changer de système.
Mobutu, dans le but de garder l’initiative, précède les
changements pour mieux les contrôler. Il annonce, en janvier 1990,
des consultations populaires qui se tiennent effectivement dans les principales
villes du pays. Les propos tenus à ces consultations sont de plus
en plus durs, de sorte que le « Président-Fondateur »
laissera à son Conseiller Mokolo wa Mpombo le soin de poursuivre
les auditions sans lui.
Quelques conclusions des 6.128 mémorandums nous sont connus,
jusqu’à présent, seulement à travers le compte rendu
fait dans le discours du 24 avril 1990. Aux dires de l’intéressé,
quelques mémorandums avaient réclamé la suppression
du MPR, mais la plupart se seraient contentés de demander sa réforme
pour en extirper les abus.
Mobutu s’attendait à des simples revendications politiques ;
mais il fut surpris par l’ampleur des doléances touchant à
la vie quotidienne. C’est là l’aveu du divorce entre la classe dirigeante
et le peuple dont les intérêts étaient largement divergents.
Il voulait calmer le jeu en proposant des réformes politiques de
façade telles que le port de la cravate et le retour aux prénoms
chrétiens, mais le peuple tenait à reconquérir sa
dignité bafouée par sa chosification à travers la
dégradation de ses conditions de vie et la négation de tous
ses droits et libertés.
Derrière les mesures dites historiques annoncées le 24
avril 1990, il se dessinait donc un souci de redresser et de sauver le
régime croulant de la IIème République. En effet,
la séparation entre le parti et l’Etat, l’abandon du rôle
dirigeant du Parti-Etat, l’introduction du multipartisme à trois
et de la séparation des pouvoirs apparaissent comme une révision
déchirante, d’autant plus que ces réformes sont rendues publiques
dans un décor théâtral accompagné d’une effusion
d’émotions provoquant un enthousiasme éphémère.
Mais la lecture attentive et les rétractations qui suivirent
après (conférence de presse, message au Parlement, révision
constitutionnelle) révélèrent le but réellement
caché et donnèrent à l’opinion l’impression d’une
poudre qu’on lui jetait aux yeux. Le Pouvoir ne se départissait
pas de ses méthodes dictatoriales pour instaurer l’ordre nouveau.
Mobutu seul déterminait le nombre de partis ; seul, il indiquait
le contenu et la portée des réformes, seul il fixait les
différentes phases de la transition et nommerait les membres de
la Commission constitutionnelle. Toutes ces réformes furent introduites
par simple révision de la Constitution de 1967, mille fois retouchée
comme un habit d’Arlequin.
En face, la démarche unilatérale du « Guide »
et la surenchère politicienne rendirent l’opposition de plus en
plus radicale et revendicative. C’est donc sous la pression populaire que
les problèmes posés le 24 avril furent résolus. Il
y eut d’abord le problème politique. Mobutu tenait aux trois partis
et préconisa des élections primaires. L’opposition réclamait
le multipartisme intégral qu’elle obtint le 6 octobre. Mobutu et
les siens voulaient contrôler le gouvernement « d’union nationale
» en se réservant le droit de nommer et de révoquer
celui-ci. L’opposition cherchait à en assurer le contrôle
en revendiquant un gouvernement indépendant de la Présidence.
La lutte autour du gouvernement « d’union nationale » cachait
mal les ambitions antagonistes de chaque groupe, à savoir la «
Mouvance Présidentielle » et L’Union Sacrée de l’Opposition
Radicale » (USOR). Chacun tenait à contrôler l’appareil
de l’Etat en vue, pour la première, de se maintenir au pouvoir et,
pour la seconde, de s’y établir, en s’excluant mutuellement.
Ainsi se comprend la valse des gouvernements et l’échec des différentes
concertations qui furent toutes des marchés des dupes : N’Sele,
Palais de Marbre I et II, etc.. chacun avait de l’union nationale un entendement
différent et y voyait son cheval de Troie pour terrasser l’adversaire.
L’autre problème majeur dont la solution conduisit à la
CNS fut l’ordre constitutionnel. La Constitution de la IIème République
était devenue juridiquement caduque. En plus, le 4 décembre
1991 se terminait le mandat présidentiel. Que fallait-il faire en
attendant l’élaboration d’une nouvelle Constitution ? Et quel organe
était habilité à formuler cette dernière ?
Pour Mobutu et ses partisans, la révision constitutionnelle suffisait
à assurer la transition. Celle-ci, réalisée le 5 juillet
1990, stipulait que le Président en exercice demeurerait à
la tête de l’Etat jusqu’à l’élection du nouveau Président.
Toujours les mêmes tenaient à une Commission pour élaborer
une Constitution de l’éventuelle IIIème République.
L’opposition, par contre, estimait qu’il fallait une Constitution provisoire
pour régir la transition et une sorte d’aggiornamento devant aborder
tous les problèmes du pays, y compris le projet d’une Constitution
définitive. Le slogan était : « la recherche de l’histoire
». Le pouvoir en place, auteur principal de la crise, était
disqualifié pour en apporter les remèdes.
Une telle entreprise ne pouvait se faire qu’au sein d’un forum réunissant
« toutes les forces vives de la Nation » : une Conférence
Nationale Souveraine. Les exemples réussis du Bénin et de
la République Populaire du Congo étaient là pour encourager
l’opposition dans ses revendications. Les divergences profondes sur
la nature des changements à entreprendre et sur les voies pour y
arriver, expliquent les discussions parfois byzantines qui précédèrent
la CNS. Fallait-il une Commission ou une Conférence ? une Conférence
Constitutionnelle ou Nationale ? une Conférence Nationale simple
ou Souveraine ?
C’est de guerre lasse et dans une atmosphère de crise économique
et sociale aiguë, sur fond des pillages et des violences, que celui
qui se nomma lui-même « Aigle » va s’incliner et autoriser
à contre-cœur la tenue de la Conférence Nationale, quitte
à cette dernière de se proclamer souveraine.
UNE CONFERENCE MARQUEE PAR DE MULTIPLES SOUBRESAUTS
Reportée à plusieurs reprises, la Conférence Nationale
s’ouvrait le 7 août 1991 au Palais du Peuple. Elle fut marquée
d’emblée par une lutte acharnée pour le contrôle de
son organisation. En effet, ayant échoué dans leurs tentatives
de les contourner, le Maréchal et ses ouailles vont entreprendre
un travail de sape qui aboutira à torpiller et finalement à
saboter les assises. Il profite du multipartisme intégral pour financer
plus de 200 partis politiques appelés à cet effet «
partis alimentaires » et plusieurs associations de la société
civile dans le but de s’assurer la majorité numérique à
la Conférence.
Et lorsque la dynamique de changement qui secoue la Salle des Congrès
renverse sa majorité, Mobutu ne s’empêche pas de recourir
au débauchage et à la menace pour obtenir des retournements
spectaculaires de ses anciens collaborateurs qui l’avaient momentanément
quitté. Dans ce qu’on a appelé le bal des chauves, on a vu
partir tous les caciques de l’ex-Parti-Etat pour rejoindre les rangs des
mobutistes. Mobutu va jusqu’à s’offrir le luxe d’entretenir en sous-mains
une plate-forme dite modérée (F.D.U.), sensée tenir
distance égale entre l’USOR et la Mouvance Présidentielle.
Cette plate-forme jouera un rôle perturbant en introduisant la fameuse
question de la « géopoli-tique » et elle servira plus
tard de rampe de lancement à la « Troisième Voie »
de Monsengwo et Kengo.
Malgré ces astuces, lorsque les choses tournèrent définitivement
en sa défaveur, Mobutu n’hésita pas à retirer l’armée
et le MPR de la Confértence et à faire assiéger le
Palais du Peuple par sa troupe. Ces manœuvres de sabotage ponctuèrent
tout le déroulement de la CNS, jusqu’à sa fin en queue de
poisson, comme nous pouvons le constater à travers ses grandes étapes.
La Commission préparatoire devrait comprendre les trois composantes
: les Partis politiques, la Société Civile et les Institutions
publiques. Mais elle fut dominée par les partisans du gouvernement
et contrôlée par lui. C’est ainsi qu’elle enrôla de
préférence les partis élémentaires. La corruption
aidant (promesse de partager le per-diem), la Commission inscrivit 3.485
participants au lieu de 2.850 prévus avant de passer à la
mise en place des Bureaux provisoires.
Le premier Bureau provisoire désigné était dirigé
par le doyen d’âge, Monsieur Kalonji Mutambayi, un proche parent
du 1er Ministre Mulumba Lukoji et qui était flanqué de deux
élèves dont une mineure. Son incompréhension était
notoire et il fut remplacé par un deuxième Bureau.
Le deuxième Bureau provisoire élu le 12 décembre
1991 avait à sa tête Monseigneur Monsengwo, alors Président
de la Conférence Episcopale du Zaïre. L’Evêque catholique
bénéficia de l’appui massif de l’op-position et de la société
civile. Les mobutistes ne trouvèrent pas mieux que de lui opposer
un photographe. Le Bureau provisoire eut pour tâche d’examiner le
rapport de la Commission de vérification et de validation des pouvoirs
; ce qui permit d’éliminer de nombreux cas frauduleux.
Mais une des étapes marquantes de la CNS fut sa suspension
par le Gouvernement Nguz le 19 janvier 1992. Un des actes les moins réfléchis
qu’un homme d’Etat ait commis. La suspension de la CNS venait mal
à propos et eut des conséquences néfastes. Rappelons
les prétextes avancés par Nguz. Il accusait la CNS d’avoir
annulé deux arrêtés du gouvernement : le premier révoquant
un magistrat, président de la Commission des litiges et recours
et rendu coupable de l’invalidation des nombreux « mouvan-ciers »,
le second intimant l’ordre à tous les conférenciers non résidants
de Kinshasa de se regrouper à la N’Sele. Ces mesures étaient
inopportunes en elles-mêmes, surtout la dernière étant
destinée à parquer les conférenciers venus de l’intérieur
sur choix du régime et qui manifestaient des velléités
d’indé-pendance, pour mieux les contrôler.
Le motif réel de la suspension semble avoir été
l’impopularité grandissante de Monsieur Nguz Karl-I-Bond. Véritable
Spaak congolais (Henri Spaak, homme d’Etat belge connu pour ses volte-face
politiques qui lui valurent le sobriquet de « Monsieur Tourne-Casaque
»), il avait quitté Mobutu pour se propulser à la tête
de l’opposition comme candidat de cette dernière aux futures élections
présidentielles. Revenu à la tête du Gouvernement,
le voilà complètement acquis au Chef de l’Etat qu’il avait
vilipendé auparavant pour devenir finalement le coordinateur de
sa campagne électorale ! Ses volte-face, son implication dans la
nomination maladroite de Kyungu, un Gouverneur aux propos foncièrement
tribalistes et sécessionnistes à la tête du Katanga,
ainsi que l’incapacité de son Gouvernement à arrêter
le marasme économique, avaient aliéné, dans l’opinion,
l’image du président de l’UFERI.
La suspension de la Conférence Nationale « avec force »
souleva la colère du peuple. L’agitation et les troubles qui s’en
suivirent culminèrent avec « les marches des chrétiens
» du 16 février. Destinés à obtenir la réouverture
de la CNS, la manifestation pourtant pacifique fut réprimée
dans le sang. Elle est devenue le symbole de l’acharnement du peuple à
se libérer de l’oppression à travers sa « conférence
incontournable ». Les réactions suscitées par la répression
du 16 février amènent Mobutu, toujours soucieux de récupérer
la situation à son avantage, à autoriser la réouverture,
après une concertation avec le Bureau de la CNS, dans une localité
des environs de Mbandaka.
La reprise des travaux le 6 avril 1992 permet à la Conférence
de se doter de son Bureau définitif toujours présidé
par l’Archevêque de Kisangani. Le 5 mai, la plénière
adopte l’Acte proclamant la souveraineté de la CNS, et du 7 mai
au 1er juin, elle auditionne 192 déclarations de politique générale.
Celles qui n’étaient pas lues en plénière furent l’objet
d’une synthèse.
Les travaux par la suite se déroulèrent en commissions.
La Commission de l’Ordre du Jour avait prévu vingt-trois commissions
dont huit à caractère politico-juridique, neuf à caractère
socio-culturel et six à caractère économico-financier.
Chaque bureau de commission avait neuf postes à raison de trois
postes pour les partis politiques, trois pour la société
civile, deux pour les institutions publiques et un pour les invités.
Huit présidences revinrent à la société civile,
six aux partis politiques, six aux institutions publiques et trois aux
invités.
En réalité, les Bureaux des commissions furent dominés
par l’USORAL (Union Sacrée de l’Opposition Radicale et Alliés).
Cette maîtrise des travaux par l’opposition est une des causes cachées
du retrait momentané de la Mouvance de la CNS où tout lui
échappait désormais. en plus de l’élection de Monsieur
Etienne Tshisekedi au poste de 1er Ministre. Prévue pourtant pour
la fin des travaux, l’élection d’un Premier Ministre par la CNS
devint une urgence à cause de l’animosité grandissante entre
les conférenciers et Monsieur Nguz : il fallait « un gouvernement
vertébré ». On suspendit les travaux en commissions
pour se mettre à élire un formateur.
Mais cette procédure et la perspective de l’élection du
Chef de file de l’opposition suscitèrent la méfiance de Mobutu.
Il fallut, lors de la concertation de N’Sele le 31 juillet, promettre à
celui-ci la prolongation de son mandat pour qu’à son tour, il accepte
l’élection de son farouche adversaire de l’époque. Celui-ci
est élu Premier Ministre le 15 août 1992 et confirmé
par l’Ordonnance de Mobutu le 19 du même mois, sur base de l’ancienne
Constitution !
COMMISSIONS PLENIERES ET FIN EN CATASTROPHE
DE LA CNS
Toutes les commissions n’avaient pas la même importance et tous
les rapports ne furent pas adoptés. Celles qui furent le plus de
bruit en raison soit de la hardiesse des critiques et des propositions
de résolutions, soit des controverses soulevées autour des
thèmes traités, soit des révélations attendues
ont été principalement : la Commission politique, la Commission
constitutionnelle, la Commission de Défense, Sécurité
et Protection Civile, la Commission Finances, Banques, Monnaie et Crédit,
la commission du Portefeuille de l’Etat et les deux Commissions dites sensibles
: celle des Biens mal acquis ainsi que celle des Assassinats et violations
des Droits de l’homme.
A titre illustratif, la Commission Politique fit une critique acerbe
du mobutisme, proposa la suppression du MPR comme parti, remit en cause
la présidence de Mobutu et proclama le rétablissement de
l’ancien nom du pays, Congo, des anciens emblème et hymne. Le ton
utilisé et les propositions ont servi d’occasion au retrait du MPR
de la CNS et du gouvernement Tshisekedi.
Tandis que les débats sur le rapport de la Commission Constitutionnelle
ont permis aux thèses sur le Fédéralisme et l’Unitarisme
de s’affronter au profit des premières, ceux des Commissions des
Finances et du Portefeuille ont donné l’avant-goût de ce qu’aurait
été le déballage des Biens Mal Acquis. En effet, les
rapports de la commission des Biens Mal Acquis et des Assassinats ne furent
point lus en plénière, constituant ainsi une des causes de
la fin précipitée de la CNS.
La clôture de la CNS le 4 décembre 1992 se fit dans une
atmosphère de malaise et d’extrême tension. A l’origine, il
y a eu les divergences de vue sur le gouvernement et la menace que présentait
l’audition publique des rapports des deux commissions sensibles.
Dans le premier cas, le Premier Ministre élu à la CNS
avait formé un gouvernement de « Salut Public » excluant
tous les ténors de gauche et surtout de droite, au lieu d’un gouvernement
« d’Union Nationale » que réclamaient les mobutistes
et tous les déçus. Ces derniers exigeaient un « partage
équitable et équilibré » du gâteau sous
prétexte que « personne n’avait gagné les élections
».
En dépit de la rencontre tripartite du 22 novembre 1992 à
Gbadolite entre Mobutu, Monsengwo et Tshisekedi, celui-ci traîna
à former un gouvernement d’union nationale. Par contre, il endurcit
le ton en suspendant le Gouverneur de la Banque Nationale et en interdisant
la circulation des nouveaux billets de 5 millions de zaïres ironiquement
surnommés « Dona Beija » (nom d’une vedette prostituée
d’un feuilleton télévisé). Tshisekedi est révoqué
le 1er décembre et a démonétisé aussitôt
les fameux billets. Il s’en suivra plus tard la deuxième série
de pillages, téléguidés, a-t-on dit, par « le
Guide » pour punir le peuple de son obéissance et sa fidélité
à « l’Elu de la CNS ».
L’autre mobile de la clôture en catastrophe de la CNS fut l’opposition
catégorique de Mobutu de laisser les rapports des fameuses commissions
litigieuses. Il en connaissait le contenu et craignait d’être publiquement
traîné dans la boue. Car ces deux rapports le rendaient le
premier responsable des crimes politiques et économiques qui ont
jalonné notre Histoire depuis l’Indépen-dance.
Dans sa dernière séance où fut lu un rapport général
rédigé à la hâte, la CNS eut le temps de mettre
en place une Assemblée de la Transition , le Haut Conseil de la
République et son Bureau, toujours présidé par l’incontournable
Archevêque-Président.
UN BILAN MITIGE
La plus longue Conférence Nationale d’Afrique n’a pas accouché
d’une souris, comme ses détracteurs le prétendent. Elle a
d’abord été l’occasion d’une prise de conscience historique
d’adhésion à un idéal largement partagé, celui
d’un sentiment national libéré de toute peur. Elle a libéré
les énergies créatrices et donné la parole au peuple.
Sans ce réveil nationaliste, l’AFDL aurait sûrement mis du
temps à renverser la dictature la plus coriace de notre époque.
En outre, les travaux des commissions d’une qualité scientifique
jamais réalisée dans notre pays, ont réhabilité
l’intelligentsia congolaise chosifiée sous le mobutisme. Toutefois,
ce bilan aurait été plus positif s’il avait été
accompagné des réussites politiques. Or, c’est dans ce domaine
que réside l’échec qui a influé sur l’ensemble de
ce qui aurait dû être les états généraux
du Congo, à l’instar de ceux de 1789 en France.
L’échec politique qu’a révélé l’impasse
de la Transition mise en place par la CNS a de multiples causes dont nous
avons retenu les principales. La première a cause été
l’absence d’un consensus national autour d’un idéal commun. Le mot
était sur toutes les lèvres, mais chacun en donnait une signification
différente. La notion de « Nation » n’a pas la même
acception chez tous les hommes politiques.
La deuxième cause, corollaire à la première, est
le manque de patriotisme. Celui-ci exige non seulement l’attachement à
sa patrie, mais aussi l’esprit d’abnégation et de sacrifice en vue
de la sauvegarde de la Patrie. A la place, on a vu des politiciens prêts
à vendre leurs âmes pour des maigres perdiems. Ainsi, l’idée
de l’union nationale s’est réduite à la formation d’un gouvernement
éléphantesque où tous les appétits seraient
satisfaits.
La troisième cause est l’absence d’un idéal personnel
et d’une idéologie de la majorité de la classe politique
congolaise qu’on peut défendre. Nos hommes politiques, sans idéologie
précise, changent d’opinion selon le mouvement du vent et sont plus
attachés aux instincts tribaux et régionaux. Bref, ils manquent
une culture politique. Se servant de toutes ces défaillances, le
rusé dictateur machiavélique a su opposer les uns aux autres,
tirer les ficelles et disloquer les rangs de l’opposition qu’il a laminée
et finalement, faire capoter la CNS.
Mais, de toutes ces causes, la principale est la rupture intervenue
entre la classe politique et le peuple. Venus au Palais du Peuple pour
la défense des intérêts de la Nation, les conférenciers
se sont mués en clients des différents protagonistes. Les
débats tournent de plus en plus autour des indemnités, du
partage équitable et équilibré, de la géopolitique,
etc.. Pendant ce temps, le peuple est abandonné à lui-même
; et pour trouver une solution à sa misère, il recourt à
des expédients : opération Bindo, pillages … à moins
qu’il ne se réfugie dans la religion ou dans la boisson.
La réconciliation qui devrait se faire entre le peuple et sa
classe politique est désormais envisagée seulement entre
mobutistes et l’opposition. Le témoignage le plus éloquent
du divorce entre le peuple et les politiciens est le désintérêt
de l’opinion à appliquer les mots d’ordre des politiciens. Les villes
mortes et les grèves ne sont plus suivies. L’autre témoignage
sera plus tard le soutien apporté à une solution en dehors
du schéma de la CNS déboulonner bas le régime de Mobutu.
Prof. TSHISUNGU LUBAMBU
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